16/03/2013

De chair, de feu, de sable et de sang





C’est un peu abasourdi que l’on sort de l’exposition "She got love", rétrospective sur l’œuvre de l’artiste Ana Mendieta proposée par le musée d’Art Contemporain de Rivoli (Italie). Abasourdi par la diversité des œuvres, par la fulgurance d’une carrière, par la puissance quasi mystique qui se dégage de l’œuvre et de l’artiste, omniprésente, entière. A travers cette exposition, Rivoli réaffirme sa  position en mettant en avant des artistes reconnus  mais pas forcément très familiers du grand public. Pari réussi. On adore ou on déteste


De Cuba à New York : itinéraire d’une déracinée
Née en 1948 à Cuba dans une famille aisée, Ana Mendieta et sa sœur sont exfiltrées par le biais de la CIA aux Etats-Unis en 1961, après l’arrivée au pouvoir du régime castriste. Ses frères et sa mère ne les rejoindront qu’en 1966, son père restant dans les geôles cubaines jusqu’en 1972. Ana et sa sœur furent ballotées entre différentes familles de l’Iowa, état conservateur et blanc, où Ana prend conscience de son statut de Latina. Elle rejoint l’université de l’Iowa en 1967, suit des cours  sur les civilisations primitives et fait une rencontre déterminante avec Hans Breder, artiste, professeur et initiateur de l’Intermedia. Les années Soixante-dix seront très prolifiques, elle ira plusieurs fois au Mexique, retournera à Cuba, la « beloved Isla », et sera en résidence quelque temps à Rome (Prix de Rome en 1983). Sa vie se terminera tragiquement puisqu’elle sera retrouvée morte au pied de son appartement de New York dans des circonstances qui restent troubles.

Un laboratoire  d’exploration des liens entre humanité et spiritualité
Par où commencer ? Déjà par une impression de vide sidéral à l’entrée dans la Manica Lunga du musée. Pas de couleur mais des photographies (série Siluetas), des sculptures, des installations, quelques feuilles peintes, quelques dessins, et, en tendant l’oreille, le bruit du ressac de la mer ; en effet sont suspendus des écrans qui projettent des performances d’Ana Mendieta, écrans transparents permettant de les voir à l’aller comme au retour dans cette longue pièce. D’autres performances encore sur quelques postes « vintage » de TV (dont Chicken Piece, très déroutante) permettent de découvrir les différents supports utilisés par Ana Mendieta. Elle a su  réaliser une synthèse entre différents types d’arts, dans un langage visuel cru et unique qui influencera et ouvrira le chemin à d’autres artistes, femmes notamment. Finalement,  on entre dans un laboratoire dans lequel la jeune artiste explore « les relations entre elle-même,  la terre et l’art » et par là retrouve des racines.

"C’est le sens de la magie du savoir du pouvoir trouvés dans les arts premiers qui influencera mon art"
Le travail d’Ana Mendieta est très influencé par les Arts Premiers d’abord, par les mouvements artistiques naissants (body art, land art, happening…), par l’effervescence sociale - notamment féministe - et politique des années Soixante-dix, tout en traçant sa propre route. Ana Mendieta abordera les thèmes de l’identité, de la féminité comme genre, de la vie et de la mort, de la violence contre les femmes (Sweating Blood and untitled (Rape Performance)), de l’amour, du sexe, de la renaissance en transcendant du matériel qui devient spirituel. Et utilisant son propre corps d’abord puis différents matériaux, elle cherche à se transcender pour se fondre dans la nature. Dans la série Siluetas, réalisée entre 1973 - à la suite de son premier voyage au Mexique - et 1980, elle tente d’exprimer l’immédiateté de la vie et l’éternité de la nature en imprimant la nature de traces éphémères. Et on découvre des silhouettes de chair, de feu, de plumes, de pierre, de sable, de sang, de poudre, de glace… Silhouettes féminines car dans toutes les civilisations primitives la figure féminine est identifiée comme la symbiose, le partage entre la Nature et la femme ; ces civilisations l’utilisaient aussi pour nommer les forces du monde.



Plus d’infos : www.castellodirivoli.org ou  Facebook
Pour plus de clés : Parcourez l’article réalisé par Olga Gambari dans le « journal » de l’exposition.

Les videos de performances trouvées sur le web sont très crues voire provocantes...les vivre, les voir "en vrai", suivre le cheminement, découvrir l'artiste permet de poser un regard différent.


Et enfin, quelques mots sur le lieu de cette exposition... le château de Rivoli fait partie du patrimoine mondial de l’Unesco. Le contraste entre art grotesque et œuvres contemporaines, les superbes vues sur Turin, le sentiment de liberté ressenti au dernier étage … méritent  le détour