Tout commence par une journée grise à Turin, propice à la
découverte du quadrilatère et de son musée phare le MAO (Musée d’Art Oriental).
La visite est enthousiasmante mais contre toute attente, le point d’orgue se
révélera au seuil de la librairie. Une aquarelle en couverture d’un livre
saisit l’œil. Elle représente une jungle luxuriante, les couleurs sont
magnifiques, les détails délicats et d’une incroyable finesse. Au fil des pages
de ce carnet de voyage, intitulé « Per vedere l’elephante », le
talent de Stefano Faravelli, son auteur, se dévoile et notre admiration grandit
à mesure. Cet artiste italien et que nous découvrons turinois, aura de surcroît
la courtoisie d’accepter de nous recevoir. (Nous étant caractérisé par la présence d'Irissary et de Claire, auteures de ce témoignage et des Zhappy, oeils éblouis et oreilles attentives).
Un
matin de septembre, Stefano Faravelli, nous ouvre donc les portes de sa maison
à flan de colline. L’accueil, en français, est chaleureux, comme si nous nous
connaissions déjà. Il nous invite à pénétrer dans son atelier. Soudain, nous
sommes Alice et il est notre lapin blanc. A sa suite, nous basculons dans un
ailleurs, aspirées par la singularité du lieu, l’éclectisme et la beauté des
œuvres, la fantasmagorie des objets de ce cabinet de curiosité.
La
conversation s’engage. Échanger avec lui est un cadeau précieux. C’est un être
rare et passionnant, qui sous une apparence ascétique, cache une immense
générosité. Il nous offre sans compter son temps, sa grande culture, sa
réflexion de penseur et d’artiste. Il ouvre pour nous sa boîte aux trésors,
puis déplie à nos pieds ses carnets de voyage originaux, plus beaux les uns que
les autres. Il virevolte d’une œuvre à une « machine
extraordinaire », nous explique un détail, une référence, le chemin qui a
fait de l’enfant observateur, amoureux de la nature, l’immense artiste reconnu
par ses pairs qu’il est aujourd’hui.
Le voyage de Stefano
Issu d’une famille d’artiste,
Stefano est un enfant observateur, fasciné depuis son plus jeune âge par la compréhension des choses. Son œil
fut aiguisé dès l’âge de 4 ans par les miniatures persanes qui ornaient les
murs de la maison d’enfance, par les premiers voyages familiaux. Doté d’une
mémoire visuelle formidable, il emmagasine tout. Son père, architecte et
peintre à ses heures, cultive également son imaginaire et ayant détecté un
terrain propice, lui offre, alors qu’il n’a que 7 ans, une petite boîte
d’aquarelles Lukas (boîte qu’il a conservée jusqu'à ce jour). Ce cadeau donne à
l’enfant dyslexique qu’il fut, un précieux
moyen d’expression, permit la révélation de son être…
Il avoue pourtant avoir failli se perdre en tentant de se conformer aux canons de l’art moderne, à une époque où art contemporain et art abstrait
éclipsaient le figuratif. Mais alors qu’il assiste à une rencontre entre un
artiste conceptuel et le philosophe Gianni Vattimo, il s’aperçoit que le
philosophe, grâce à la parole, prend toujours
l’avantage sur l’artiste. Il pense en lui même : « Si l’art devient
pensée, il ne faut alors pas penser à moitié ». Stefano, abandonne donc l’art par amour de l’art et
reprend des études de philosophie morale. Il fréquente « l’Istituto di
Orientalistica », étudie l’Arabe et entreprend des voyages au Proche,
Moyen et Extrême-Orient.
Il
reprend ainsi goût à
« dipingere », à peindre. Et ayant ainsi pris conscience d’avoir
mis en péril son mode d’expression singulier, de s’être éloigné de sa
perception aigue du sens de l’image, il se recentre de nouveau sur la voie du
figuratif. Avec pour guide, la figure tutélaire de Balthus, qui, lui non plus,
n’a pas cédé aux sirènes ! Stefano se définit comme un
pèlerin…« Quelqu’un qui cherche avec ses moyens », et qui trouve,
quelqu’un qui a été sensible à un appel. Au final, les étiquettes :
peintre, illustrateur, philosophe, lui importent peu.
Le carnettiste Faravelli
C’est un explorateur de vieux
monde, de l’Afrique à l’Asie, entre les 40emes parallèles, berceaux des grandes
civilisations, de la religion bouddhiste, hindoue, shintoïste, chrétienne.
-
Le carnet d’essai d’idées, où il
dessine,‘croque’, travaille sa palette, allant jusqu'à immortaliser la carcasse
du poisson mangé à l’instant,
-
Le carnet de pensées, où il inscrit ses références bibliographiques, ses
réflexions,
-
Le carnet de voyage,
le plus abouti, où il dessinera, écrira, in
situ et dans l’instant ce qu’il observe, tout son être.
Faravelli a toujours une idée qui
lui trotte en tête et ses idées sont des images car il voit en pensée, une
semence de l’image. Une fois l’idée jaillie,
apprivoisée, les connexions se font naturellement, empruntées à sa culture
littéraire et historique ou fruit de ses recherches. C’est ainsi que se révèle
LA destination, que se construit la trame DU voyage, jusqu’à constituer peu a
peu, et pas à pas, SON voyage.
Pour son prochain voyage, le long
des côtes de l’Afrique, qui le mènera du côté de Zanzibar, c’est l’arbre wak
wak qui a été le déclencheur. Les graines de cet arbre particulier seraient
encore vendues sur les marches de l’île. L’arbre wak wak, dont les branches
produisent des fruits aux traits d’animaux, de jolies femmes, et qui tombent au
son de wak wak, représente la régénération. C’est un thème iconographique très
ancien qui a traversé la Méditerranée pour arriver jusqu’en occident. Il est le
prétexte pour réouvrir les mille et une nuits et mettre ses pas dans les voiles
de Sinbad.
Lorsque Faravelli part vraiment, c’est donc que le pays a suffisamment voyagé en lui pour l’appeler. Ses 3 carnets, ses aquarelles et ses pinceaux Winston et Newton (le must en la matière) en poche, il se lance dans le voyage imaginé, minutieusement « pré-vu », en restant néanmoins ouvert au possible, à l’imprégnation, aux rencontres.
Ses voyages l’ont ainsi conduit à la recherche du Rome égyptien (le saviez-vous : il y a plus d’obélisques à Rome qu’en Egypte !), à Bénarès, à Tolède, à Jérusalem, à Alexandrie. En feuilletant ses carnets, nous l’accompagnons également au Mali, dans le cœur antique de la Chine, en Inde et au Japon (ou, bien qu’il juge la modernité terrible, subsistent des îles de beauté absolue, préservées par des esthètes, donnant corps a sa conviction : l’Homme est toujours la clef).
Ses dessins sont toujours d’une
finesse remarquable. Ils saisissent l’essence des êtres, des plantes, des
animaux. La beauté réside aussi dans la restitution des couleurs, dans chaque
détail, collage, clin d’œil. Et pour citer Roland Barthes : « il sera question de quelques gestes,
de quelques nourritures, de quelques poèmes ; il sera question des visages, des
yeux et des pinceaux avec quoi tout cela s’écrit, mais ne se peint pas ».
Stefano Faravelli affectionne
également les jeux de mots, les émanations, la caricature :
« l’ironie, c’est ce qui nous sauve ! ». Il se met donc en scène
dans ses illustrations, ses autoportraits métamorphiques. Celui de Sinbad
Faravelli, nous l’avons vu, il est magnifique et augure encore d’un sublime
ouvrage, lorsque le sponsor de Stefano, le Djin du dessin, aura trouvé le
bateau, seul élément manquant encore pour que ce nouveau périple prenne vie.
Notre rencontre avec Stefano
Faravelli fait partie des moments précieux de l’existence, ceux que l’on porte
avec chaleur en soi.
Chacun
de ses carnets est le fruit d’un voyage, de son voyage. Daniel Picouly
qui a rédigé la préface du carnet de voyage « le Mali Secret » prévient :
« …Jamais vous ne ferez le voyage de Stefano. Mais, grâce à lui, vous
ferez le vôtre. C'est mieux, non?".
Merci Claire et Léna
Merci Claire et Léna