Après les mois d'été, le constat est bien là, partagé par de nombreux observateurs: la mode sur les plages n'est plus au top less mais bien aux tatouages! Phénomène déjà repéré chez de nombreuses stars du milieu artistique et sportif, le tatouage épingle maintenant sa cote de popularité au plus haut. Difficile de savoir si l'Italie accéderait au podium des olympiades du genre mais la troisième édition du Salon du Tatoo organisée ce week-end à Turin a su créer l'èvènement avec une soixantaine de stands et pas moins d'une centaine d'artistes. Par ailleurs, c'est une véritable galerie d'oeuvres ambulantes qui s'est donnée à voir à travers la foule par le défilé improvisé d'un grand nombre de visiteurs tatoués, assortis de piercings qui piquera notre curiosité à vif...
Si la gent masculine a afflué en nombre à ce courant exhibitionniste, le stéréotype
du jeune homme tatoué, marginal, attiré par la transgression apparait cependant
révolu. Longtemps utilisé pour marquer les esclaves et les prisonniers pour
qu'ils ne puissent pas cacher leur faute vis à vis de la société, le tatouage revêt
en fait des aspects bien différents selon les cultures et les époques.
Un ado sur cinq dont un nombre croissant de jeunes
femmes, aurait recours aujourd’hui au tatouage et au piercing comme moyen
d’expression. Ici, le salon vient d'élire sa Cover Girl qui avec son inscription Proud to love myself révèle davantage encore la dimension
narcissique liée à une profonde volonté
d’affirmation de soi (« La marque corporelle est une prise d’autonomie, une manière symbolique de prendre possession de soi »).
d’affirmation de soi (« La marque corporelle est une prise d’autonomie, une manière symbolique de prendre possession de soi »).
Le
tatouage s’apparenterait donc actuellement à une recherche de contrôle sur un
corps qui se dérobe pour s’incarner selon ses propres choix en commençant par
signifier la séparation avec les parents.
Malgré leur banalisation, « ces marques inquiètent ou fascinent parce qu’elles révèlent un monde
étrange où se melent séduction et sentiment de rejet”.
L’art du
tatouage se distingue en effet par son extraordinaire diversité et
interroge bien souvent les critères esthétiques! Tantôt romantique, ethnique ou
morbide… c’est aujourd’hui le courant réaliste qui semble prédominer. Enrico, membre
du Staff et notre principal éclaireur, arbore lui-même à son avant-bras, une
figure emblématique de sa jeunesse. D’autres inscriptions parsèment son corps
et son visage de manière énigmatique telles ses deux larmes dessinées au coin
de l’œil. Si le tatouage s’est d’abord imposé à lui par une sorte de révélation
artistique, il signe aussi le récit d’une histoire à chaque fois singulière. A
commencer par celle initiée avec le tatoueur qui tisse le plus souvent une relation
de forte complicité.
Sorte de
figure hybride issue du croisement entre chirurgien et artiste, le tatoueur muni de ses gants noirs n'est
pas loin non plus d'évoquer l’image de tortionnaire face à sa panoplie
d’instruments miniaturisés !
La
part de masochisme est une donnée qui a son importance nous confirmera Enrico,
comme si la souffrance participait au moyen de sublimer voire transcender la
chair pour opérer la métaphore du corps en sorte de livre charnel.
Ces
pratiques de marquage corporel non seulement viendraient sortir l’individu de
son anonymat mais lui permettraient aussi d’inscrire les moments clés de son
existence. Pourvu de ces traces indélébiles en forme de mémoire cutanée, le
corps s’armerait ainsi contre l’anéantissement total (Pascal Tourain dans son
livre « mes tatouages : du définitif sur du provisoire »).
Pour
Catherine Grognard « Loin
d’être un effet de mode, ces inscriptions
corporelles s’érigent en phénomène culturel”. Le
tatouage viendrait donc pour
l’adolescent faire office de rite de passage dans nos sociétés
occidentales qui en sont tant dépourvus
mais serait aussi pour l’adulte le témoin d’une lutte effrénée pour garder la
maitrise sur un corps qui lui échappe. La surenchère par le biais de nouvelles
techniques comme le stretching ou les implants sous-cutanés pointe déjà à
l’horizon et n’est malheureusement pas sans risques. Concernant Enrico, il
semble s’accommoder parfaitement de la perspective de ses cheveux blancs et
ne semble pas succomber si facilement aux arguments picturaux de la femme
tatouée … A chacun ces codes !
écriture symbolique, Enfances et Psy 2006/3, n°32, p.87-93