03/10/2012

Tatouages : Phénomène de mode ou nouveaux codes ?


Après les mois d'été, le constat est bien là, partagé par de nombreux observateurs: la mode sur les plages n'est plus au top less mais bien aux tatouages! Phénomène déjà repéré chez de nombreuses stars du milieu artistique et sportif, le tatouage épingle maintenant sa cote de popularité au plus haut. Difficile de savoir si l'Italie accéderait au podium des olympiades du genre mais la troisième édition du Salon du Tatoo organisée ce week-end à Turin a su créer l'èvènement avec une soixantaine de stands et pas moins d'une centaine d'artistes. Par ailleurs, c'est une véritable galerie d'oeuvres ambulantes qui s'est donnée à voir à travers la foule par le défilé improvisé d'un grand nombre de visiteurs tatoués, assortis de piercings qui piquera notre curiosité à vif...





Si la gent masculine a afflué en nombre à ce courant exhibitionniste, le stéréotype du jeune homme tatoué, marginal, attiré par la transgression apparait cependant révolu. Longtemps utilisé pour marquer les esclaves et les prisonniers pour qu'ils ne puissent pas cacher leur faute vis à vis de la société, le tatouage revêt en fait des aspects bien différents selon les cultures et les époques.
Un ado sur cinq dont un nombre croissant de jeunes femmes, aurait recours aujourd’hui au tatouage et au piercing comme moyen d’expression. Ici, le salon vient d'élire sa Cover Girl qui avec son inscription Proud to love myself révèle davantage encore la dimension narcissique liée à une profonde volonté 
d’affirmation de soi (« La marque corporelle est une prise d’autonomie, une manière symbolique de prendre possession de soi »).





Le tatouage s’apparenterait donc actuellement à une recherche de contrôle sur un corps qui se dérobe pour s’incarner selon ses propres choix en commençant par signifier la séparation avec les parents. Malgré leur banalisation, « ces marques inquiètent ou fascinent parce qu’elles révèlent un monde étrange où se melent séduction et sentiment de rejet”.






Enrico, pourquoi ces larmes ?




L’art du tatouage se distingue en effet par son extraordinaire diversité et interroge bien souvent les critères esthétiques! Tantôt romantique, ethnique ou morbide… c’est aujourd’hui le courant réaliste qui semble prédominer. Enrico, membre du Staff et notre principal éclaireur, arbore lui-même à son avant-bras, une figure emblématique de sa jeunesse. D’autres inscriptions parsèment son corps et son visage de manière énigmatique telles ses deux larmes dessinées au coin de l’œil. Si le tatouage s’est d’abord imposé à lui par une sorte de révélation artistique, il signe aussi le récit d’une histoire à chaque fois singulière. A commencer par celle initiée avec le tatoueur qui tisse le plus souvent une relation de forte complicité.



Sorte de figure hybride issue du croisement entre chirurgien et artiste, le tatoueur muni de ses gants noirs n'est pas loin non plus d'évoquer l’image de tortionnaire face à sa panoplie d’instruments  miniaturisés ! 
La part de masochisme est une donnée qui a son importance nous confirmera Enrico, comme si la souffrance participait au moyen de sublimer voire transcender la chair pour opérer la métaphore du corps en sorte de livre charnel.




Ces pratiques de marquage corporel non seulement viendraient sortir l’individu de son anonymat mais lui permettraient aussi d’inscrire les moments clés de son existence. Pourvu de ces traces indélébiles en forme de mémoire cutanée, le corps s’armerait ainsi contre l’anéantissement total (Pascal Tourain dans son livre « mes tatouages : du définitif sur du provisoire »).


Pour Catherine Grognard « Loin d’être un effet de mode, ces inscriptions corporelles s’érigent en phénomène culturel”. Le tatouage viendrait  donc pour l’adolescent faire office de rite de passage dans nos sociétés occidentales  qui en sont tant dépourvus mais serait aussi pour l’adulte le témoin d’une lutte effrénée pour garder la maitrise sur un corps qui lui échappe. La surenchère par le biais de nouvelles techniques comme le stretching ou les implants sous-cutanés pointe déjà à l’horizon et n’est malheureusement pas sans risques. Concernant Enrico, il semble s’accommoder parfaitement de la perspective de ses cheveux blancs et ne semble pas succomber si facilement aux arguments picturaux de la femme tatouée … A chacun ces codes !


Pour en savoir plus:  Grognard C., Marques corporelles et adolescence: une
écriture symbolique, Enfances et Psy  2006/3, n°32, p.87-93