Difficile
de ne pas remarquer les affiches qui parsèment actuellement la ville pour
promouvoir l'exposition "The Human Body Exhibition", installée au
Palaolimpico de Turin. Exhibition macabre de corps humains ou mise en scène
savante et moderne de notre réalité corporelle par le biais de la plastination,
les avis divergent sur leurs rôles supposés pédagogique et artistique.
En 2009, une autre exposition intitulée “Our Body, à corps ouverts”, au contenu
similaire, avait suscité une intense controverse au moment de son installation
à Paris. C’est en raison du soupçon porté sur l’origine des cadavres liée à un
possible trafic de condamnés à mort chinois que deux associations Ensemble contre la peine de mort et Solidarité Chine avaient porté l’affaire en
justice. En 2010, la cour de cassation avait tranché alors en ces termes: “l’exhibition de cadavres humains à des fins commerciales est
contraire à la décence et, de ce fait, illégale en France”.
Au cœur de la polémique, Science et Bioéthique se confrontaient de nouveau pour
tenter de concilier leurs principes. Ici, la question liée au statut du corps
humain après la mort se pose directement. En France, le corps n’est pas objet
de patrimoine mais reste par essence celui d’un individu. Sentiment étrange dès
lors de penser que ce sont bien des individus dont nous croisons le regard…Aujourd’hui, l’utilisation de cadavres humains à des fins pédagogiques est possible, à condition que les corps exposés aient une origine licite et qu’il existe un consentement des personnes exprimé de leur vivant.
Sur le plan pédagogique et scientifique
C’est ici le principal argument mis en avant pour défendre l’intérêt de cette exposition. Le court métrage ornementé de la troublante musique de Lakmé, qui inaugure la visite, nous conduit dans un voyage à travers le temps parcouru par des noms illustres comme Aristote, Léonard de Vinci et Michel-Ange… permettant ainsi d’entrevoir la quête de savoir inextinguible de l’Homme et de son génie créatif dans laquelle prend place aujourd’hui cette exposition!
Le but affiché ici est de transmettre une connaissance plus approfondie du corps humain. Et là rien ne nous est épargné. Tout est visible dans le moindre détail. Aucun savoir médical n’est requis, seulement une ouverture d’esprit suffisante pour s’émerveiller devant l’incroyable mécanique du corps humain. Des visites sont ainsi proposées aux groupes scolaires. Elles servent aussi de support pour sensibiliser les jeunes à l’importance d’adopter un mode de vie sain dans le respect de son corps.
Si le résultat n’est pas certain quant à la meilleure compréhension des choses, la complexité indubitable de notre organisme en fait cependant quelque chose de fascinant !
Sur le plan technique : la plastination
Dès les années 70, le professeur Von Hagens, anatomiste allemand, fut à l’origine de l’amélioration et de l’exploitation du procédé de la plastination. Celle-ci consiste notamment à remplacer les liquides organiques (sang, eau) et graisses par du silicone. Elle permet de conserver les volumes et d'avoir un matériel qui est non toxique. Pour les étudiants en anatomie, elle est insuffisante car elle ne permet pas de garder la souplesse des organes laissant ainsi la dissection comme un exercice incontournable aux futurs médecins. Aujourd’hui, l’anatomie servirait au professeur principalement d’alibi pour servir une expression artistique controversée. Rappelons qu’au XVIIIe, l’anatomiste français Honoré Fragonard exposait déjà ses écorchés dans des cabinets de curiosité accessibles au grand public.
D’autres éléments anatomiques sont ici exposés par le biais de divers processus comme le calco vascolare permettant une vision surprenante en 3D du système vasculaire et des poumons tels du corail multicolore.
Sur le plan artistique
Cela pose directement la question même de la définition de l’Art en tant que tel. Si la taxidermie est l’art de conserver l’apparence de la vie comme le définit le Robert, la plastination est peut-être l’art de se défaire de l’apparence pour mieux entrevoir des mécanismes du vivant ? Que dire par ailleurs des chimères, ces animaux hybrides, réalisées par certains de ces artisans ?
Pour ce qui est de l’aspect esthétique, la galerie de photos présente un intérêt indéniable et moins équivoque. L’expression artistique est peut-être à chercher sous d’autres formes et d’autres expositions telles les pièces en tissu de formes organiques d’Annette Messager suspendues par des fils proposant une manière bien différente d’illustrer le corps humain !
Univers captivant pour les uns, réalité grotesque et triviale pour les autres, les réactions sont diverses face à cette manière d’examiner le corps et notre propos ne se veut pas porteur d’opinion sur les raisons d’un tel succès même décrié ! Pour autant, cet étalage de cadavres nous rappelle immanquablement notre lot commun promis à une putréfaction certaine. Alors, à quand la plastination comme recours ultime de la chirurgie esthétique ? Lady Gaga avec sa célèbre robe en viande crue aurait le profil indiqué pour jouer les nouveaux cobayes !
Heureusement, ce corps malgré sa crudité révélée n’en reste pas moins une enveloppe mystérieuse, territoire toujours en friche laissé à l’exploration de nos désirs et de nos abîmes … sans parler de la secrète alchimie qui allie notre corps à notre esprit parfois pour le pire et parfois pour le meilleur.